Lentilles, pois chiche et flageolets, les nouveaux aliments à la mode

Les nutritionnistes redécouvrent les bienfaits des légumineuses. Autrefois largement consommées, lentilles, pois chiches et autres flageolets ont pourtant déserté nos assiettes. A Lyon, de jeunes entrepreneurs redonnent un coup de modernité à ces aliments bénéfiques.

 

Davantage de fruits, de légumes, de produits céréaliers complets, mais aussi plus de légumineuses ; dans un rapport paru le 23 janvier dernier, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a publié ses recommandations concernant l’alimentation. Et les petites graines comme les pois chiches, les flageolets ou les lentilles remontent sur la première marche du podium : si l’ANSES conseille d’en manger davantage, elle les a aussi sorties de la case des féculents pour les placer dans une catégorie à part entière.

 

C’est un point positif, pour Martine Champ, du Centre de recherche en nutrition humaine ouest : « Dans la tête des gens, les féculents font grossir. Faire sortir les légumes secs de cette catégorie poussera peut-être à leur consommation. » Car même si l’ONU avait déclaré 2016 année internationale des légumineuses, celles-ci ont peu de succès dans notre pays : les Français n’en consomment que 1,7 kg par personne par an, soit deux fois moins que la moyenne européenne, et encore loin des 11 kg des consommateurs africains et sud-américains.

 

L’intérêt à leur égard semble néanmoins renaître depuis quelques années. Les rayons de produits en vrac investissent certains commerces et supermarchés, tandis que le régime végétarien gagne du terrain, laissant un peu de place à ces légumes un temps oubliés – les Français en consommaient le triple il y a moins d’un siècle.

 

 

A Lyon, de jeunes entrepreneurs ont senti ce vent souffler sur les légumineuses ; depuis plusieurs mois, deux start-ups planchent sur des produits novateurs à base de légumes secs. Ici&Là commercialise la marque « Le Boucher Vert » : les lentilles ont d’abord capté leur attention, et ils en ont fait un steak végétal, avant de se lancer dans les boulettes de pois chiches ou les nuggets de haricots flageolets.

 

 

 

 

Pour Chiche, les pois qui portent leur nom seront bientôt dans les rayons de quelques magasins lyonnais, grillés et assaisonnés, à déguster en apéro. Et ces deux duos d’entrepreneurs-ses comptent bien décliner leurs produits sur d’autres gammes.

 

« On a senti le potentiel des légumineuses », résume Coralie Honajzer, cofondatrice de Chiche. Depuis plusieurs années, de nombreuses études le montrent : nous consommons trop de viande, ce qui n’est bon ni pour notre santé, ni pour l’environnement. Les légumineuses ont l’avantage d’être bénéfiques tant pour l’une que pour l’autre, tout en étant source de protéines – protéines végétales, que l’on devrait d’ailleurs consommer plus que les protéines animales.

 

Les lentilles ou autres fèves contiennent aussi des « glucides complexes (amidon), des fibres, des vitamines et des minéraux comme le calcium et le fer », énumèrent les auteurs du Diagnostic des filières de légumineuses à destination de l’alimentation humaine. Quant aux matières grasses, elles restent faibles dans ces légumes secs, qui comportent en outre des acides gras essentiels. Associez-les à des céréales, vous obtenez le cocktail parfait pour un repas équilibré, sans manger de viande.

 

Côté environnement, la culture des légumineuses laisse bien moins de traces que l’élevage, très gourmand en gaz à effet de serre. Au contraire, elles pourraient bien venir « au secours du climat », assure le cabinet d’études agricoles Solagro, qui a participé au Diagnostic : « En fixant l’azote de l’air dans les sols via leurs racines, elles réduisent les besoins d’engrais des cultures, enrichissent les sols ». Cultivées en rotation avec d’autres cultures (céréales par exemple), les légumineuses permettent de réduire l’utilisation de pesticides.

 

Les atouts de ces légumes n’ont donc pas échappé aux ingénieurs en agroalimentaire que sont les fondateurs d’Ici&Là et de Chiche. Mais ces mêmes atouts restent flous pour le grand public, qui ont souvent une mauvaise image de ces petites graines rouges, vertes, ou blanches.

 

« Les légumineuses n’ont pas une image hyper glamour », relève Coralie Honajzer. « Viande du pauvre », « dures à digérer », « longues à préparer »… Les lentilles et les pois chiches cumulent les clichés. En proposant des produits innovants, les deux start-ups souhaitent casser ces codes. « Les boulettes, et surtout les nuggets, ont un côté ludique, notamment pour les enfants », décrit Emmanuel Brehier, cofondateur d’Ici&Là. Chez Chiche, « on veut proposer les légumineuses là où on ne les attend pas : à l’apéro, mais aussi au goûter ou en dessert », avance Coralie Honajzer.

 

Et pas besoin d’attendre le trempage et une longue cuisson, justement, pour consommer les produits que proposent les deux marques. « Le temps de préparation des légumineuses n’est pas vraiment adapté à nos modes de vie », remarque Delphine Delage, qui voit donc dans ces propositions une « bonne nouvelle » pour favoriser la consommation. Mais la déléguée générale de la Fédération Nationale des Légumes Secs (FNLS) reste prudente face aux produits parfois « très transformés » que proposent certains industriels, produits notamment à base de légumineuses.

 

« Tout dépend du degré de transformation », détaille Anthony Fardet, chercheur en nutrition préventive. Il fait référence à une classification internationale, publiée en 2014 par des chercheurs en épidémiologie nutritionnelle de l’Université de Sao Paulo, qui met en avant, chose plutôt nouvelle, les effets de la transformation des produits sur la santé. Plus la transformation est intense et drastique, plus la liste d’additifs s’allonge, et plus les effets négatifs sur la santé (diabète, obésité, maladies cardiovasculaires…) risquent de se multiplier. Ces aliments ultra-transformés sont souvent enrichis en sucres, sel ou matières grasses. Ils contiennent également de nombreux additifs non naturels, repérables par la lettre E sur la liste de composition de nos produits, qui servent à améliorer le goût, la couleur, la texture et la préservation du produit.

 

« Quand la matrice alimentaire est déstructurée, ajoute Anthony Fardet, notre corps n’assimile pas de la même manière les nutriments : pour schématiser, ce n’est pas la même chose pour la santé d’assimiler le fructose naturel d’un fruit, et le fructose issu d’un sirop industriel ». Aussi, isoler des protéines de légumineuses pour les réinjecter dans des pâtes alimentaires – ce que visent certains projets expérimentaux actuels – est moins intéressant du point de vue du potentiel santé de l’aliment que d’incorporer des légumineuses entières.

 

Du côté d’Ici&Là ou de Chiche, on mise donc plutôt sur des graines entières, en limitant ainsi la transformation et les additifs. « Et c’est mieux pour sensibiliser les gens à manger des légumineuses, ajoute Cyrielle Denhartigh, responsable Agriculture et alimentation du Réseau action climat (RAC). Ils sont conscients qu’ils mangent des lentilles ou des pois chiches ». Le côté gustatif est également important selon elle : pour ceux qui ont lancé la marque « Le Boucher Vert », pas question de cacher l’aspect ni le goût de ce qui compose leurs plats, au contraire.

 

Qui dit goût de qualité dit produit de qualité. C’est pourquoi Chiche comme Ici&Là ont opté pour le Made in France et le bio. Même si la production française de légumineuses reste très faible, la filière biologique est plus développée dans ces cultures que dans d’autres : « Il y a une bonne production en bio, et les consommateurs de bio sont aussi souvent des consommateurs de légumineuses », observe Delphine Delage. Avec des produits transformés, les producteurs voient apparaître de nouveaux débouchés.

 

Beaucoup d’agriculteurs restent néanmoins réticents à se lancer dans la culture de légumes secs, tant que la consommation reste faible. Et pourtant, cette consommation n’est couverte qu’à 27% par la production française… Des « plans nationaux » ont tenté d’encourager les agriculteurs à se tourner vers ces cultures, mais avec un bémol non négligeable : ils favorisent très majoritairement les légumineuses à destination de la consommation animale (soja, féverole, luzerne..). Ceux qui privilégient les lentilles, les pois chiches ou les fèves restent délaissés par les politiques agricoles, et ce depuis des années. Certains s’y aventurent quand même, en choisissant de produire des légumes de qualité qui bénéficient, pour moitié d’entre eux, de labels.

 

Le Made in France et le bio sont donc aussi des atouts commerciaux, reconnaissent les entrepreneurs lyonnais. Ils visent un large public, « et pas seulement les végétariens ». L’un des leviers préconisés par Solagro et le RAC est la restauration collective, et notamment les cantines scolaires, pour sensibiliser dès le plus jeune âge. Cyrielle Denhartigh compte aussi sur des campagnes de communication du type « Manger Bouger », pour encourager les Français à remplacer, de temps en temps au moins, la viande par ces graines. « L’idée est que les gens prennent autant de plaisir à déguster nos pois chiches grillés qu’à manger des chips à l’apéro, résume Coralie Honajzer, et en plus, c’est meilleur pour leur santé ! ».

 

 

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