Une bactérie a été modifiée de façon à intégrer des bases de synthèse dans son ADN et à les exprimer en produisant une protéine artificielle contenant un acide aminé non naturel.
Comment fabriquer une protéine inédite ? L’idée n’est pas seulement de modifier une bactérie pour qu’elle ajoute ou supprime des constituants des protéines, les acides aminés dits naturels, dans une chaîne protéique existante. Les biologistes savent le faire depuis longtemps. Non, les chercheurs en biologie de synthèse visent un objectif bien plus ambitieux : modifier une cellule de façon qu’elle insère dans ses protéines, aux endroits souhaités, de nouveaux acides aminés non naturels. C’est ce que viennent de réussir Yorke Zhang, de l’institut de recherche Scripps, en Californie, et ses collègues avec une bactérie Escherichia coli.Depuis plus de trente ans, diverses pistes sont explorées pour y parvenir. Toutes consistent à agir sur le code génétique. Les organismes vivants codent leurs informations héritables à l’aide de quatre nucléotides ou bases notés A, T, C et G, qui forment des paires agencées en une longue molécule en double hélice, l’ADN. Les cellules lisent cette séquence et, à chaque triplet de bases ou codon, associent un acide aminé. Avec quatre bases différentes, il existe 64 combinaisons possibles de trois bases. Mais seuls 20 acides aminés interviennent habituellement dans la fabrication des protéines, car certains codons correspondent au même acide aminé (et trois codons ont d’autres fonctions).
Des biologistes ont pu assigner des codons existants à de nouveaux acides aminés. Par exemple, en 2013, l’équipe de George Church, à la faculté de médecine de l’université Harvard, a associé le codon TAG, qui habituellement stoppe la lecture de l’ADN, à un acide aminé non standard. D’autres chercheurs imaginent de nouveaux codons. En 2010, Jason Chin, au Medical Research Council, à Cambridge, au Royaume- Uni, et ses collègues ont produit par mutagenèse une machinerie cellulaire capable de décoder non pas des triplets de bases, mais des quadruplets, et de les traduire en acides aminés non naturels. Ils ont ainsi construit une protéine avec deux acides aminés non naturels.
Yorke Zhang et ses collègues, eux, ont choisi d’introduire directement dans l’ADN une nouvelle paire de bases synthétisées. Dans un premier temps, ils ont montré que la bactérie semi-synthétique ainsi produite vivait bien et que l’incorporation était stable. Il fallait ensuite que l’information ajoutée soit transmise correctement dans la chaîne de production des protéines : la nouvelle paire de bases doit être transcrite au sein de l’ARN messager (ARNm), l’intermédiaire entre l’ADN et la machinerie de lecture (les ribosomes). Dans les ribosomes, des ARN de transfert (ARNt) spécifiques doivent alors être recrutés, capables de reconnaître les nouveaux codons de l’ARNm et de leur associer des acides aminés non naturels ; pour cela, une enzyme spécifique doit reconnaître le bon ARNt et y fixer le bon acide aminé. Pas à pas, les biologistes ont levé ces obstacles. Grâce à leurs bactéries, ils ont ainsi réussi à incorporer dans une protéine connue – une protéine fluorescente verte – un acide aminé non naturel.
Pourquoi introduire de nouveaux acides aminés dans les protéines ? Pour les doter de nouvelles fonctions. Les biologistes du domaine imaginent déjà de multiples applications dans la recherche de médicaments, la fabrication de matériaux ou l’agriculture. Certes, la production de protéines artificielles n’en est qu’à ses balbutiements, mais il est à parier qu’elle aboutira un jour. Serons-nous alors prêts à encadrer ces nouvelles pratiques en connaissance de cause ?
Source : https://www.pourlascience.fr/sd/biologie/la-proteine-qui-nexistait-pas-12780.php